Un très beau texte
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Un très beau texte
Je vous fais un copier-coller d'un très beau texte de Patrick Belissen que j'ai reçu sur le forum Deaf France:
Nos mains, la langue du diable ou la langue de dieu?...
par Patrick Belissen, mercredi 12 décembre 2012, 07:12 ·
Pour nous, Sourds, la surdité en tant que défaillance de l’organe de l’audition n’est pas l’élément déterminant dans la perception de la réalité et notre inscription dans le monde. Nous ne ressentons pas le manque de sons. Nous savons qu’ils existent et qu’ils marquent de manière significative l’univers des entendants. Nous nous repérons dans le monde et dans le contact avec les gens essentiellement avec nos yeux. Nous n’avons pas une perception directe des sons sauf pour ceux d’entre nous qui ont des restes auditifs. Certains sons peuvent être perçus indirectement par les vibrations qu’ils génèrent dans l’environnement, comme par exemple un avion qui passe au-dessus de notre tête, un poids lourd passant à proximité, la musique diffusée des hauts parleurs dans les boîtes de nuit, etc.
Nous ne souffrons aucunement de ne pas entendre. Le chant des rossignols qui fait vibrer la fibre poétique ne nous manque pas. Nous avons nos propres réjouissances visuelles, notre œil étant particulièrement sensible aux jeux de lumière. Nous ne percevons pas le silence sonore. Par contre, le silence visuel a pour nous une certaine signification. De même que le bruit visuel. Il n’entre pas dans le cadre de cet exposé d’expliciter cet aspect de notre perception, mais il faut savoir avant tout que notre vécu n’est aucunement entaché par notre incapacité à percevoir les sons. La raison est que notre vision a des capacités de perception nettement supérieures en finesse et en portée par rapport à celle des non-Sourds ce qui compense de bien des manières l’absence d’audition. Grâce à cette performance visuelle, nous pouvons en effet vivre « pleinement » dans le monde. Nous n’avons aucunement le sentiment d’être handicapés, bien au contraire, puisque nous nous sentons « pleins » dans notre pensée, notre parole et notre action dans le monde. Notre parole est justement élaborée sur la base de notre vision et de notre corporalité à travers la langue visuelle et gestuelle, officiellement appelée dans notre pays la langue des signes française, mais que certains d’entre nous préfèrent nommer langue Sourde ou le Sourd.
Nous abhorrons les termes « déficients auditifs » ou « mal... » par lesquels, généralement les professionnels de la surdité nous nomment. Ils focalisent le regard sur notre déficit auditif à travers et par lequel nous refusons de nous définir car il donne une représentation fausse de notre réalité. Et, en plus, ils induisent un rapport négatif entre les non-Sourds et nous. Par contre, nous nous manifestons en tant que Sourds, terme écrit avec un grand S, pour nous affirmer comme partie intégrante et déterminante d’une ethnie ayant sa langue et sa culture spécifiques. Ce rattachement à la communauté Sourde est la condition nécessaire pour développer notre potentiel et pour nous ouvrir au monde.
L’organisation de notre vie, individuelle et collective, tourne donc autour de nos capacités visuelles et corporelles. Extérieurement, rien ne nous différencie des non-Sourds. La différence n’apparaît qu’en situation de communication par l’usage d’une langue qui passe par un canal différent.
La langue Sourde est le trait essentiel qui nous unit. Elle est la genèse d’une culture qui est arrivée à un haut raffinement malgré toute une histoire d’oppression linguistique. Elle fut en effet interdite en 1880 à Milan lors d’un congrès international réunissant des sommités de l’éducation des Sourds. S’en est suivie sa répression durant un siècle en Europe. Durant cette période fatidique, nos prédécesseurs ont été contraints d’utiliser la langue des entendants pour communiquer et apprendre, avec des résultats catastrophiques sur tous les plans : linguistique, cognitif, psychologique et social. Rares en effet étaient ceux qui arrivaient à un développement correct leur permettant de vivre dans la société en toute autonomie selon leurs aspirations. Bien, au contraire, une telle éducation, nommée oraliste, qui dévalorisait notre langue n’a produit que de pâles ombres d’êtres humains. C’est en cela que nous qualifions l’immersion dans un contexte hostile à nos valeurs linguistiques et culturelles de situations extrêmes car elle signe la négation de nous-mêmes, de notre être. Ce qui nous a sauvé de l’anéantissement, c’est que nous vivions entre nous dans les grandes institutions et que nous avons pu pratiquer dans la clandestinité notre langue. Dans les ombres des couloirs, nous avons ainsi pu assurer sa transmission, à la barbe des éducateurs, si bien que lorsque l’interdiction de notre langue était officiellement levée par le décret de Fabius de 1991, notre communauté disposait d’un bagage linguistique à peu près préservé. N’empêche que la mémoire communautaire porte le poids de cette cruauté et que nous nous remettons difficilement de cette aberration historique ce d’autant plus que la levée officielle de l’interdiction ne se traduisait en effet pas dans la réalité par une reconnaissance réelle et étendue de nos valeurs culturelles.
Notre culture trouve ses expressions les plus diverses à travers l’art, la technologie, l’éducation, la philosophie, l’humour, etc…, grâce aux caractéristiques de l’iconicité des différentes langues Sourdes du monde entier. Lorsque deux locuteurs Sourds de différents pays se rencontrent, l’iconicité, en effet, permet d’aller au delà des particularités linguistiques de chaque langue pour instaurer une sorte de pidgin flexible. Cette propriété linguistique que n’ont pas les langues vocales-sonores explique la facilité avec laquelle les rencontres internationales se font. Lors de congrès internationaux réunissant une centaine de nationalités différentes, les conférenciers peuvent se faire comprendre sans l’entremise d’interprètes et leurs discours sont d’un haut niveau d’abstraction. Ceci prouve, entre autres choses, que loin de nous diminuer et de nous enfermer dans le petit monde de l’assistanat, notre langue est le tremplin qui nous ouvre au monde, y compris dans la rencontre avec les non-Sourds.
Sur le socle de notre langue visuo-corporelle, nous pouvons atteindre la plénitude de notre être, accéder à la connaissance, pratiquer presque tous les métiers, exercer pleinement notre citoyenneté. Cette langue nous rend sains de corps et d’esprit. Avec elle et par elle, il n’y a pas de limite dans l’accès à la connaissance, à l’action dans le monde, à l’autonomie de pensée, de parole et d’acte.
Notre communauté témoigne d’une grande richesse culturelle et humaine par une floraison de compétences diversifiées et de haut niveau.
En somme, notre potentiel est sans limite et nous pouvons parvenir au même niveau d’intelligence cognitive, émotionnelle et relationnelle que nos homologues non-Sourds. Cependant, notre communauté étant une minorité, nous ne pouvons évoluer qu’à l’intérieur du pouvoir que la majorité nous accorde.
Nos mains, la langue du diable ou la langue de dieu?...
par Patrick Belissen, mercredi 12 décembre 2012, 07:12 ·
Pour nous, Sourds, la surdité en tant que défaillance de l’organe de l’audition n’est pas l’élément déterminant dans la perception de la réalité et notre inscription dans le monde. Nous ne ressentons pas le manque de sons. Nous savons qu’ils existent et qu’ils marquent de manière significative l’univers des entendants. Nous nous repérons dans le monde et dans le contact avec les gens essentiellement avec nos yeux. Nous n’avons pas une perception directe des sons sauf pour ceux d’entre nous qui ont des restes auditifs. Certains sons peuvent être perçus indirectement par les vibrations qu’ils génèrent dans l’environnement, comme par exemple un avion qui passe au-dessus de notre tête, un poids lourd passant à proximité, la musique diffusée des hauts parleurs dans les boîtes de nuit, etc.
Nous ne souffrons aucunement de ne pas entendre. Le chant des rossignols qui fait vibrer la fibre poétique ne nous manque pas. Nous avons nos propres réjouissances visuelles, notre œil étant particulièrement sensible aux jeux de lumière. Nous ne percevons pas le silence sonore. Par contre, le silence visuel a pour nous une certaine signification. De même que le bruit visuel. Il n’entre pas dans le cadre de cet exposé d’expliciter cet aspect de notre perception, mais il faut savoir avant tout que notre vécu n’est aucunement entaché par notre incapacité à percevoir les sons. La raison est que notre vision a des capacités de perception nettement supérieures en finesse et en portée par rapport à celle des non-Sourds ce qui compense de bien des manières l’absence d’audition. Grâce à cette performance visuelle, nous pouvons en effet vivre « pleinement » dans le monde. Nous n’avons aucunement le sentiment d’être handicapés, bien au contraire, puisque nous nous sentons « pleins » dans notre pensée, notre parole et notre action dans le monde. Notre parole est justement élaborée sur la base de notre vision et de notre corporalité à travers la langue visuelle et gestuelle, officiellement appelée dans notre pays la langue des signes française, mais que certains d’entre nous préfèrent nommer langue Sourde ou le Sourd.
Nous abhorrons les termes « déficients auditifs » ou « mal... » par lesquels, généralement les professionnels de la surdité nous nomment. Ils focalisent le regard sur notre déficit auditif à travers et par lequel nous refusons de nous définir car il donne une représentation fausse de notre réalité. Et, en plus, ils induisent un rapport négatif entre les non-Sourds et nous. Par contre, nous nous manifestons en tant que Sourds, terme écrit avec un grand S, pour nous affirmer comme partie intégrante et déterminante d’une ethnie ayant sa langue et sa culture spécifiques. Ce rattachement à la communauté Sourde est la condition nécessaire pour développer notre potentiel et pour nous ouvrir au monde.
L’organisation de notre vie, individuelle et collective, tourne donc autour de nos capacités visuelles et corporelles. Extérieurement, rien ne nous différencie des non-Sourds. La différence n’apparaît qu’en situation de communication par l’usage d’une langue qui passe par un canal différent.
La langue Sourde est le trait essentiel qui nous unit. Elle est la genèse d’une culture qui est arrivée à un haut raffinement malgré toute une histoire d’oppression linguistique. Elle fut en effet interdite en 1880 à Milan lors d’un congrès international réunissant des sommités de l’éducation des Sourds. S’en est suivie sa répression durant un siècle en Europe. Durant cette période fatidique, nos prédécesseurs ont été contraints d’utiliser la langue des entendants pour communiquer et apprendre, avec des résultats catastrophiques sur tous les plans : linguistique, cognitif, psychologique et social. Rares en effet étaient ceux qui arrivaient à un développement correct leur permettant de vivre dans la société en toute autonomie selon leurs aspirations. Bien, au contraire, une telle éducation, nommée oraliste, qui dévalorisait notre langue n’a produit que de pâles ombres d’êtres humains. C’est en cela que nous qualifions l’immersion dans un contexte hostile à nos valeurs linguistiques et culturelles de situations extrêmes car elle signe la négation de nous-mêmes, de notre être. Ce qui nous a sauvé de l’anéantissement, c’est que nous vivions entre nous dans les grandes institutions et que nous avons pu pratiquer dans la clandestinité notre langue. Dans les ombres des couloirs, nous avons ainsi pu assurer sa transmission, à la barbe des éducateurs, si bien que lorsque l’interdiction de notre langue était officiellement levée par le décret de Fabius de 1991, notre communauté disposait d’un bagage linguistique à peu près préservé. N’empêche que la mémoire communautaire porte le poids de cette cruauté et que nous nous remettons difficilement de cette aberration historique ce d’autant plus que la levée officielle de l’interdiction ne se traduisait en effet pas dans la réalité par une reconnaissance réelle et étendue de nos valeurs culturelles.
Notre culture trouve ses expressions les plus diverses à travers l’art, la technologie, l’éducation, la philosophie, l’humour, etc…, grâce aux caractéristiques de l’iconicité des différentes langues Sourdes du monde entier. Lorsque deux locuteurs Sourds de différents pays se rencontrent, l’iconicité, en effet, permet d’aller au delà des particularités linguistiques de chaque langue pour instaurer une sorte de pidgin flexible. Cette propriété linguistique que n’ont pas les langues vocales-sonores explique la facilité avec laquelle les rencontres internationales se font. Lors de congrès internationaux réunissant une centaine de nationalités différentes, les conférenciers peuvent se faire comprendre sans l’entremise d’interprètes et leurs discours sont d’un haut niveau d’abstraction. Ceci prouve, entre autres choses, que loin de nous diminuer et de nous enfermer dans le petit monde de l’assistanat, notre langue est le tremplin qui nous ouvre au monde, y compris dans la rencontre avec les non-Sourds.
Sur le socle de notre langue visuo-corporelle, nous pouvons atteindre la plénitude de notre être, accéder à la connaissance, pratiquer presque tous les métiers, exercer pleinement notre citoyenneté. Cette langue nous rend sains de corps et d’esprit. Avec elle et par elle, il n’y a pas de limite dans l’accès à la connaissance, à l’action dans le monde, à l’autonomie de pensée, de parole et d’acte.
Notre communauté témoigne d’une grande richesse culturelle et humaine par une floraison de compétences diversifiées et de haut niveau.
En somme, notre potentiel est sans limite et nous pouvons parvenir au même niveau d’intelligence cognitive, émotionnelle et relationnelle que nos homologues non-Sourds. Cependant, notre communauté étant une minorité, nous ne pouvons évoluer qu’à l’intérieur du pouvoir que la majorité nous accorde.
Ari- modérateur
- Localisation : Creuse
Date d'inscription : 02/01/2011
Messages : 1534
Re: Un très beau texte
oui d'ailleurs ils ne demandaient pas aux éléves interprètes de faire une traduction LSF ?
Lanvin- Citoyen d'honneur
- Date d'inscription : 05/01/2011
Messages : 3297
Re: Un très beau texte
Arya, venez vite, on vous demande !Lanvin a écrit:oui d'ailleurs ils ne demandaient pas aux éléves interprètes de faire une traduction LSF ?
Toutatis- Admin
- Date d'inscription : 30/12/2010
Messages : 2709
Re: Un très beau texte
Moi j'veux bien ! Mais il va me falloir une sacré préparation !!
Arya- Citoyen
- Localisation : Saint quentin en yvelines
Date d'inscription : 19/04/2012
Messages : 604
Re: Un très beau texte
Oui c'est clair ! La question lui a été demande s'il allait traduire en lsf mais sa réponse fut surprenante car il dit ne pas réussir à passer de la lsf au français écrit ou inversement, et prétend ne pouvoir réfléchir/discuter quand dans une seule langue comme je le comprends !!! C'est exactement ce que je ressens ...
Lanvin- Citoyen d'honneur
- Date d'inscription : 05/01/2011
Messages : 3297
Re: Un très beau texte
A mon avis, c'est un prétexte ou de la mauvaise foi : le connaissant je sais qu'il est parfaitement capable de traduire lui-même, ou tout au mieux transmettre les mêmes idées (les siennes) dans une autre langue qu'il maîtrise bien. C'est sans doute parce que le résultat ne donnerait pas le même effet.
Toutatis- Admin
- Date d'inscription : 30/12/2010
Messages : 2709
Re: Un très beau texte
Vous le connaissez ? Si vous pouviez lui dire que c'est un peu agaçant de tout le temps lire que les entendants sont le diable
J'aime bien ce qu'il écrit, il a une belle prose, dit des choses très juste sur les Sourds mais je ne sais pas si c'est son éducation oraliste qui le fait autant destester les entendants mais qu'est ce que ça m'agace ces idées aussi extremistes parfois !!
Bon bref ...
J'aime bien ce qu'il écrit, il a une belle prose, dit des choses très juste sur les Sourds mais je ne sais pas si c'est son éducation oraliste qui le fait autant destester les entendants mais qu'est ce que ça m'agace ces idées aussi extremistes parfois !!
Bon bref ...
Lanvin- Citoyen d'honneur
- Date d'inscription : 05/01/2011
Messages : 3297
Re: Un très beau texte
Je ne fais pas partie de ses relations : je suis un individu bien trop insignifiant...
Ce qui m'agace le plus, c'est cette manie de jouer au gourou. Il se prend pour le plus grand penseur de tous les temps, d'où cette prose pédante et maniérée. Moi, ce style me fait plutôt penser à Achille Talon...
Je pourrais faire la même chose : mon niveau en français me le permet, ainsi que ma formation littéraire. Seulement moi je ne me prends pas assez au sérieux.
Ce qui m'agace le plus, c'est cette manie de jouer au gourou. Il se prend pour le plus grand penseur de tous les temps, d'où cette prose pédante et maniérée. Moi, ce style me fait plutôt penser à Achille Talon...
Je pourrais faire la même chose : mon niveau en français me le permet, ainsi que ma formation littéraire. Seulement moi je ne me prends pas assez au sérieux.
Toutatis- Admin
- Date d'inscription : 30/12/2010
Messages : 2709
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